2. KÖLN, FÉDÉRATION EUROPÉENE (Katrina)

[Köln était une des deux villes-refuge de l’Allemagne pendant la guerre, avec Hamburg. Hamburg devait être la seule, mais dans l’esprit ouest-allemand profondément anti-nazi, le général en charge de la zone a refusé d’obéir à l’ordre d’évacuation de son armée. Katrina vivait ici, avant, pendant, et après la guerre. Elle a accepté de me confier son récit.]

Avant de commencer, je voulais vous demander… pourquoi cette interview ?

Pour que le monde se souvenienne. En toute vérité les nations unies veulent des chiffres d’après guerre, mais pour moi une guerre ne traite pas de chiffres.

Je vois. Et bien ici, à Köln, c’était une question de chiffres. Les chiffres qui intéressaient la Bundeswehr c’était “combien de munitions”, “combien de zombies”, “combien de mecs encore mentalement sains pour tenir un fusil?”.

[Elle point vers son étagère derrière elle, on y apperçois des ampoules médicales]

Moi mon chiffre c’était celui là : combien d’injections restantes.

Vous parlez des hormones?

Dans le mille. C’était devenu une ressource rare. On était 16 dans toute la ville, des trans comme moi je veut dire. On avait besoin d’hormones rapidement. Sinon ça allait être la grande déprime, et avec toute la merde qu’on avait déjà à gérer c’était pas facile. Que l’on soit clairs vous et moi, parceque vous n’avez sûrement aucune idée de ce que c’est: on préfère rejoindre Zack que de revoir des poils nous pousser au visage.

C’est là que vous avec trouvé le site web?

Mais qui ne l’a pas trouvé ! Bon sang, quoi qu’on tapaient sur la barre de recherche on était redirigées sur cette page, “The New Internet”. Quand on a découvert que des personnes étaient là pour maintenir le net sur pattes, on étaient heureuses, mais quand on a appris que c’était simplement des soeurs paumées dans la campagne française derrière ce nouvel internet, c’était juste devenu un gag.

[Elle mime une caricature du salut que les américains font à leur drapeau]

“Nous, les pariahs! Nous vous apportons, oh humble monde, votre Internet, sur un plateau d’argent !”

Sincèrement, on venait de grimper dans l’échelle sociale grâce à elles. On nous voyait comme les déchets de la zone de survie, mais maintenant les cis avaient une autre image de nous. Et ça on en avait besoin.

Comment avez-vous fait, pour les hormones?

Grâce à leur site, en fait. Vous savez, les gouvernements peuvent s’organiser entre eux, l’OTAN avait déjà les réseaux de télécommunication nécessaire. Nous par contre on manquait cet élément… Mais grâce aux françaises le problème était réglé: on a rejoint leur instance Mastodon, et on a dit qu’on avait un souci d’hormones. Elles ont répondu en montrant une de leurs cuisines retapée pour faire de l’extraction de pisse de cheval où je ne sais quoi…

Puis d’autres meufs ont suivi un peu partout à travers le monde. Beaucoup d’entre nous avaient les connaissances techniques pour se démerder sur le net, en chimie, en élevage… alors on avait une facilité à se connecter entre nous malgré la distance. Rapidement, je dirais au bout de deux mois, on avait une liste de qui, où, produisait quelle quantité actuellement, et pouvais dimensionner la production à quel maximum.

De là, des meufs tentaient le voyage vers ces “spots” de production. Beaucoup ont échoué. Mais beaucoup ont survécu, aussi. Nos rangs ont été multipliés par 10 ici ! Avec l’essence devenue extrêmement rare, les déplacements se faisaient à cheval. Grâce aux services rendus des françaises qui retapaient le net, on avait gagné de l’estime, on nous voyait différemment. On nous autorisait à recycler l’urine des chevaux. Pour tout vous dire, les gens venaient nous la donner eux-même…

[Katrina semple émue, une larme se dessine sur son oeil droit, qu’elle se dépêche de nettoyer]

Et voilà où on en est aujourd’hui. La France les veut mortes pour avoir diffuser la situation dans le pays. Je me demande où elles sont aujourd’hui. J’espère qu’elle vont bien. J’aimerais les rencontrer un jour.

Que faites-vous, aujourd’hui?

En toute honnêteté, je me prépare pour quitter les lieux. La situation politique se dégrade ici aussi, et j’ai prévu de me faire opérer au Canada. Apparement une clinique y a ouvert le mois dernier.

Une amie qui bosse dans la radio me recommendait fortement d’y rester, après l’opération. Que c’était un endroit où il faisait bon vivre. Alors pour moi c’est le voyage d’une vie.

[Elle se remet à sourir en coin]

En tout connaissance du fait que ce rapport sera remis au comité post-traumatique des nations unies, je peut vous poser une question ouverte?

Oui, bien sûr.

C’était quoi, votre chiffre ?