4. HALIFAX, NOVA SCOTIA (Mélanie)

[Mélanie est une mathématicienne, une des rares académiciennes du milieu. Elle a troqué sur uniforme d’enseignante pour travailler sur le ranch. Chelsea lui cède sa place et je change la cassette de mon dictaphone, profitant du rembobinage pour boire un verre du jus de pomme.]

Vous pouvez parler, il enregistre.

Bien. Commençons. Les LPH.

[Elle inspire profondément, ses souvenirs sont visiblement lointains.]

Bon, les clichés étaient clairement réels. L’ISS nous le confirmais pas radio, par dessus les “ta gueule” du segment sol, incapable de bloquer le flux SSTV et audiblement embarassé de voir les clichés fuiter.

On avait des données fiables, arrivant continuellement, sur 4 LPH donc 4 ensembles de données différents. C’était suffisant pour travailler dessus.

Quelle était la première étape?

Jamais je n’avais envisager raconter le processus… Bon, commençons par l’évident: une LPH est un fluide. Les éléments du fluide, c’est Zack. Zack a une viscosité intrinsèque, on peut le comprimer et le décomprimer, il a une tendance à coller aux siens, et par la magie des maths, sa vitesse obéis à la distribution de Maxwell-Boltzmann.

Maxwell-Boltzmann, c’est une distribution gaussienne utilisée en modélisation moléculaire pour décrire la distribution des vitesses dans un fluide.

On a aucun moyen de retrouver les paramètres de la gaussienne par observation directe… Par contre, on peut les déterminer en observant. Et en traçant la courbe. Il nous fallait un gros échantillon, mais Zack ne manquait à l’appel nul part. Et avec Masto, on a pu crowd-sourcer les données. Pas mal de monde mesurait leur vitesse, et avec la courbe tracée, bingo. On avait nos paramètres !

[Je suis un peu perdu, mais j’aurais tout le temps de revenir sur ses propos plus tard. Je lui propose de continuer.]

Bon, maintenant comment prédire où Zack se déplace ? Première chose: cartographier la difficulté du terrain. On assigne à chaque point du planisphère une valeur de difficulté: vous pouvez l’imaginer comme l’énergie que Zack dépense pour s’y déplacer depuis le point le plus proche. On y ajoute l’énergie qu’il y gagne en s’y rendant. Et le problème principal était là: Zack ne gagne jamais rien. C’est un débile. Il ne s’arrête jamais et veut simplement vous bouffer.

En appliquant un algorithme de descente de gradient… attendez, visualisons le.

[Mélanie sors un livre de sa bibliothèque, dont elle lit le titre: “Calcul Différentiel, introduction”]

Prenons un planisphère, avec nos continents et océans dessus. Je précise planisphère, car on va ignorer le relief. En sa place, l’élévation va correspondre à la difficulté du terrain dont je parlais. Plus un point est haut sur notre planisphère, plus c’est difficile pour Zack de s’y rendre. Et à l’invese, plus un point est bas, plus c’est intéressant pour lui. C’est ainsi que les montagnes apparaissent: c’est en effet difficile pour Zack de les traverser. Mais les villes deviennent des trous sur notre carte. Pourquoi ? Car c’est un festin pour lui.

[Elle referme son livre]

Et là est tout le problème. Zack le crétin qui ne s’arrête jamais… Et bien dès qu’il voit une personne, il va la suivre coûte que coûte. C’est pour ça que sur notre carte, les trous sont très profonds…

Enfin bref, sur notre carte dont le relief représente la difficulté, Zack est un fluide: imaginez une flaque d’eau sur la carte. Elle ne va pas grimper les reliefs, la flaque va au contraire s’infiltrer dans tout les trous. Et la viscosité de Zack dont je parlait: c’est sa tendance à suivre les siens vers les trous. Tout ce modèle s’appelle la descente de gradient.

[Stupéfait d’avoir compris, je lui fait part de mon ressenti]

L’analogie est claire.

Bien. Maintenant ça se corse. Car la difficulté du terrain, elle dépend de Zack lui même. Si il se fait faire un piercing au front, le cadavre devient un obstacle pour les autres. Pareil si une ville se fait bouffer: elle n’est plus un trou sur notre carte, et notre flaque d’eau grandit.

En théorie, il existe une formule mathématique qui, lorsque alimentée de la difficulté du planisphère et des détails sur les LPH, nous permet de prédire leur mouvement. Comme un modèle météo.

Et vous avez trouvé l’équation?

[Elle se met à rire]

Moi? Non. Impossible. Ce n’est pas une question d’effort, on a juste aucun moyen de la résoudre. Par contre, un ordinateur pour approximer la solution… On appelle ça l’intégration numérique. C’est ça, le modèle Zéphyr.

Le problème de Zéphyr, c’est qu’il demande des données très précises. Et le fameux planisphère de difficulté de terrain, il est impossible à avoir 4 fois par jour pour la planète entière sans avoir des ressources et un patrimoine informationnel conséquent.

Alors ma solution, c’était deux réseaux de neurones. Le premier, Zéphyr-Phobos, je l’ai entrainé à produire le planisphère en question à partir des observations de Zack par SSTV et nos estimations sur lui. Le deuxième, Zéphyr-Deimos, je l’ai entraîné à trouver les approximations à partir des planisphères de Zéphyr-Phobos, des observations satellites, et de nos estimations. Et ensuite? On nourris Phobos des estimations de Deimos.

Les modèles s’entrainent mutuellement, et à une vitesse démentielle. Toutes les 6 heures, on avait des données en plus. De jour en jour, nos prévisions s’amélioraient.

Pourquoi personne ne l’avait fait avant vous?

Oh, l’OTAN et la Chine l’avaient fait, impossible autrement. C’est presque amateur pour eux. Mais ils n’avaient aucun intérêt à rendre ça public.

Les images semaient la panique, beaucoup ne réalisaient pas l’étendue du problème. Et Zéphyr? Les gouverments du monde entier avaient adopté les doctrines de villes-apâts. On donnait un moyen direct aux apâts de savoir quand ils allaient se faire bouffer. On, et je veut dire ce qui est devenu l’équipe derrière Zéphyr, était sur la liste noire des services de renseignement du monde entier, qui reposaient sur cette stratégie.

Et le souci, c’est que je ne pouvait pas faire tourner ce modèle partout. Je devais rester proche des hormones, avec suffisament d’électricité pour alimenter un gros ordinateur que je n’allait pas déplacer de si tôt. Mais d’un autre côté j’était à l’ouest des rocheuses, j’allais me faire chopper. Je devais préparer ma fuite. J’ai demandé de l’aide sur masto.

Comment avez-vous fuit les USA?

On m’a communiqué cette addresse ici. Un ranch avec des trans où on arrive presque à vivre en auto-suffisance. Suffisament loins des LPH et centres habités. J’ai glissé des billets à un militaire un jour pour emprunter leur avion de transport vers Montréal. On a aterri sur une piste de fortune pas si loin de la LPH-5. Je voyais que les soldats préparaient une attaque pour essayer de la scinder en deux. J’ai encore glissé des billets à des officiers et j’ai pu emprunter un siège de leur voiture jusqu’à Moncton. Là bas une soeur m’attendais à cheval et j’ai pu faire le dernier trajet important de ma vie, à ses côtés.

Pendant le trajet, on dormais dans un hamac dans les hautes branches. Elle avait un fusils silencieux, genre à air comprimé. Un peu comme ceux des fêtes forainnes. Suffisament costaud pour descendre Zack sans faire un bruit, pour peux qu’on arrivait à lui coller le cannon sur le front. On se déplaçait à cheval… Elles étaient organisée et avaient les moyens.

Moi, je transportait un disque dur sur moi: mon travail sur Zéphyr. Il devait arriver intact, il devait être partagé sur le nouvel internet avant qu’on me bouffe. Et tout s’est bien passé, j’ai pu le diffuser et tourner cette page de ma vie.

Vous avez abandonné Zéphyr?

Oui. La vie sur le ranch me plaisait beaucoup plus. S’occuper des animaux, regarder les saumons grimper la rivière, se tuer à la tâche en pressant le jus de pomme ou bien se couper les doigts en entretenant les défenses autour du terrain. Zéphyr c’était un bel exemple de maths appliqués, c’était aussi un moyen merveilleux de protéger les gens qui ont été abandonnés par les ordures en costard qui n’hésitaient pas à les sucrer d’impôts un an plus tôt. Mais beaucoup de gens pouvaient s’occuper de maintenir Zéphyr, contrairement à moi. Seule moi pouvais m’entretenir, et prendre soin de moi. Je n’ai pas touché à un ordinateur ni rédigé de calcul formel depuis mon arrivée ici. Et je me porte mieux ainsi.

Beaucoup de personnes voient en Zéphyr un coup de génie. Vous en pensez quoi?

J’en pense que les gens ne sont simplement pas au courant des avancées en mathématiques. C’est trop abstrait pour que la vulgarisation des maths intéresse les gens. Je n’ai rien inventé, simplement appliqué des travaux datants d’un demi siècle. Mais le public n’est jamais confronté directement aux maths, alors pour lui c’est tout bonnement magique que du jour au lendemain un ordinateur donne des prévisions sur les déplacements des Zombies.

Ce n’était pas un coup de génie. C’était un moyen pour moi de me donner l’illusion de maîtriser la situation. Travailler sur ce ranch, c’est ça qui m’a convaincu que je ne maîtriserait jamais rien, et que ce n’est pas important.

Ce qui compte réellement à mes yeux c’est le bien que je peut faire à mon échelle. M’occuper de mon jardin, m’occuper de ma rivière, m’occuper de mes arbres, de ma maison. De ma famille, des animaux qui comptent sur moi. Cette planète est un jardin, je ne veut ni l’abandonner ni le laisser se faire détruire. Je veut m’occuper tendrement de cette planète, et lui donner l’amour qu’elle me rend. Chaque oiseau qui chante le matin, chaque poisson qui pond dans nos eaux, chaque chouette qui trouve refuge dans nos maisons… Chacune de ces choses est un cadeau à apprécier.

[Son ton se hausse, visiblement convaincue de ses propos.]

Zéphyr n’est rien. Il n’a jamais été important. Je ne lui accorde aucune valeur. Il n’a cultivé aucun amour. Oui, il a aidé des gens, mais il n’est qu’un outil. Un morceau de code. Un assemblage de nombre, non tant différent du silex de nos ancêtres. Il n’est pas le bien, il ne sers qu’à le créer.

J’ai pu créer mon bien sans Zéphyr.

Je vais terminer l’enregistrement, avez-vous quelquechose à ajouter?

Non, merci, ce sera tout pour moi.

[Elle pose son verre et sors de la pièce. Elle se dirige vers un poullailler, et je coupe mon matériel.]