5 - BREST, BRETAGNE (Manon)

[Manon me reçoit ce jour de fête nationale pour la Bretagne. Pour une personne aussi instrumentale à la guerre civile française, je m’attendais à plus de sécurité, mais elle se retrouve avec le reste de la ville au grand bûcher annuel sans la moindre escorte. Nous discuttons après les cérémonies sur la place de la Liberté, qui n’a jamais aussi bien porté son nom.]

Vous savez ce que les zombies ont détruit de plus précieux chez nous ? Non ?

Le tabou. Celui de tuer l’homme. Une forme humanoïde se présente devant toi et tu lui arraches la tête, tu lui explose le ventre, tu lui enfonces une pelle dans le cerveau… Et au lieu de te dire que tu viens de commettre une attrocité, tu continues ta vie comme si de rien n’était.

C’était un tabou avant, et heureusement. Mais les zombies et notre guerre contre eux ont mis des engrenages en marche qu’on a pas pu arrêter. Les engrenages de la déshumanisation.

Ce jour là, quand les forces françaises ont débarqué à Brest, l’humain était déshumanisé. Leurs corps étaient chauds mais avaient la même valeurs que les corps froids. Tout les coups étaient permis. Et gare à bien leur exploser le cerveau, sinon leur cadavre allait revenir vous dire bonjour.

Le genre américain du film zombie, c’est une simple power fantasy. Comment donner à tout ces fous des armes à feu une raison légitime de tirer sur une foule et enfin satisfaire leur envie de tuer quelqu’un. Puis quand leurs films de merde en avaient fini avec le massacre de foule, souvent le fil rouge de l’histoire changeait pour montrer des “guerres de clans” entre survivants, comme si l’humanité était intrinsèquement hyper-individualiste par nature, alors que cet hyper-individualisme n’était qu’une réflexion répugnante du capitalisme néo-libéral américain.

[Je commence à comprendre les rumeurs sur Manon. En effet, j’ai l’impression de me lancer dans des tirades politiques marxistes avec elle. Mais j’aime ses tirades, et je pense que c’est cet attrait qui l’a propulsée dans l’armée bretonne.]

Quand les français ont débarqué à Brest, il n’y avait pas de “guerre de survie” pour des provisions. Il n’y avait pas de sens du bon ou du mauvais. Pas de juste ou d’injuste. Il y a juste des gens qui essayent de tuer d’autres gens. Certains y arrivent, d’autres non. C’était tout. Si j’ai tué tout ces français, c’est parcequ’ils voulaient me tuer. Pas parceque j’en avait l’ordre. Pas parcequ’une mission plus grande me guidait. Ils voulaient me tuer. Alors je les ai tués.

Comment s’est déroulée la bataille de l’Île Longue?

C’était dur. Très dur.

Aujourd’hui la guerre ne se gagne pas parcequ’on a plus de fusils que l’autre. Elle se gagne si on arrive à atomiser l’autre avant qu’il nous atomise. Paris a tombé très rapidement, la direction inter-armées s’est déplacée à Saint-Etienne. Notre objectif: atomiser Saint-Etienne. Leur objectif: atomiser Brest.

La technique la plus simple aurait consisté à piéger un bateau commercial avec une de leurs ogives et la faire péter dans notre port, mais ils avaient besoin du port pour appareiller leurs sous-marins. Ils ont envisagé une frappe aérienne, après-tout il leur restait bien une cinquantaine de missile nucléaire air-sol. Mais ils ont fait le choix de démanteler les ogives au début de la grande panique pour éviter qu’elles ne tombent entre de mauvaises mains.

Il ne restait que leurs sous-marins: 4 au total. 3 d’entre eux étaient envoyés en outre-mer pour servir de centrales nucléaires et alimenter les îles, et le dernier… Il était en réparation ici, à Brest.

Problème ? On a pas les clés de lancement. On ne sait pas reprogrammer les missiles pour tirer où on veut. Et on ne sait pas ouvrir le sous-marin, le démarrer, bref, il ne nous servait à rien sans un groupe de marins capturés pour bavarder avec nous.

[C’est là que le nouveau net est entré dans la partie ?]

Exactement.